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Coupable d’être féministe ou coupable d’être femme ?

Nous sommes le lendemain du 8 mars, le jour international dédiés aux droits de la femme. J’avais prévu d’écrire un article sur le féminisme depuis longtemps, mais je ne savais pas trop par quel angle l’aborder. Jusqu’à la lecture d’un passage du livre incontournable de Yves-Alexandre Thalmann, Au diable la culpabilité (Jouvence, 2009) qui m’a fait tilt en provoquant le cheminement suivant dans ma tête : en tant que femme je me sens coupable de vouloir plus, car « on » me donne l’impression de retirer quelque chose aux autres, or ça « c’est mal ». Mais d’où vient donc cette culpabilité ? Où prend-elle source et comment est-elle entretenue ? Pourquoi n’est-ce pas un sentiment aussi largement partagé par la gent masculine ? Pour ne pas changer, j’ai choisi d’aborder le féminisme par un angle différent : celui de la culpabilité. Est-on coupable d’être féministe ou finalement seulement d’être femme ?

Le leadership et les femmes

Suite à mon article sur le leadership, j’ai eu beaucoup de retours de femmes qui n’osent pas assumer et revendiquer avoir du leadership. Ou qui associent le leadership au fait de devoir sacrifier leur vie personnelle ou leur vie de famille ; ce dont elles se défendent.

C’était d’ailleurs le thème de la dernière chronique : Réaliser son ambition de vie sans trahir ses valeurs.

Cela m’a poussée à m’interroger. Pourquoi tant de femmes ont ces automatismes, comparativement aux hommes ? D’où cela vient-il exactement cette divergence de perspective ? Voici l’extrait qui m’a faite réfléchir au lien qui existe entre assumer ses ambitions de vie et cette peur qui se cache derrière la culpabilité, que j’ai longtemps entretenue moi-même, dont j’entends perpétuellement parler en tant que coach, femme et mère :

« On peut se demander pourquoi autant de femmes se culpabilisent de reprendre leur activité professionnelle suite à la naissance de leurs enfants. N’y a-t-il pas dans notre société occidentale une entreprise de culpabilisation visant à cantonner les femmes dans un rôle de maîtresse de maison ? (…) N’est-ce pas une façon détournée de promouvoir et maintenir la suprématie de l’homme sur la femme ? ».

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La culpabilité, l’outil de prédilection pour influencer un comportement

Ce livre a onze ans et les choses ont beaucoup évolué depuis, mais pas forcément pour faciliter la vie des femmes. Car depuis, on demande certes moins aux femmes de se cantonner au rôle de maîtresse de maison, mais finalement pour mieux exceller dans tous les domaines : en tant que maîtresse de maison, mère, épouse/compagne, professionnelle, amante, amie, etc… Comme si, pour avoir le « droit » de vouloir plus, la femme devait se justifier d’être excellente dans ce qu’elle accomplit, de s’assurer que sa démarche ne lésera personne. What the f*ck ? Demande-t-on la même chose aux hommes ? Pourquoi est-ce ainsi ? (Pas qu’on devrait leur exiger la même chose non, mais plutôt qu’est-ce que cela nous dit de notre fonctionnement, de la société, de ne pas exiger la même chose d’eux, pourquoi cette différence ?).

Les femmes s’affirment et expriment leurs besoins, leurs limites, leurs envies et leur ras-le-bol aussi. Les langues se sont déliées, sur des sujets comme l’égalité salariale et face au recrutement, la charge mentale et la dépression mais aussi sur les violences sexuelles (#metoo). Et pourtant, combien d’entre-nous culpabilisons (au présent ou au passé), de ne pas être suffisamment présente pour les enfants, de déplaire pas nos propos ou comportements, d’être trop sensibles ou trop bossy, pas assez sexy ou trop sexy, etc.. Je ne l’exprimerai jamais aussi bien que la géniale vidéo de girls.girls.girls narrée par la non-moins brillante Cynthia Nixon :

A moins d’avoir fait un immense travail sur elle-même, la culpabilité est omniprésente chez la femme.

Et les rares fois où ce n’est pas le cas, les jugements à son encontre seront implacables : mauvaise mère, mauvaise épouse, fille facile… Je m’arrête là. On apprend aux femmes depuis la nuit des temps à se définir en fonction de leurs rapports aux autres. A partir du moment où elles prennent conscience que ce fonctionnement leur est délétère à long terme, elles vont s’efforcer de prendre soin d’elles aussi, tout en bataillant avec la culpabilité de ne pas se faire passer en dernier. Alors comment travailler sur ce sentiment de culpabilité, le déminer et s’alléger de ce poids/souffrance ?

Culpabilité saine vs. culpabilité « morbide »

La culpabilité c’est en quelque sorte la boussole, le baromètre, de notre morale personnelle. Cette dernière est le fruit de l’intériorisation des règles de fonctionnement de la société (lois, règles de bonnes conduites), mais aussi des règles que l’on s’impose à soi-même, et qui proviennent d’autres sources, la famille, la religion, les amis, notre propre sensibilité, etc… Ainsi quand on se sent coupable, c’est notre boussole qui nous indique qu’on aurait transgressé une de nos lois personnelles, et causé du tort à quelqu’un. Quel est l’objectif ? De signifier que l’on est conscient d’avoir porté atteinte à quelqu’un, que l’on reconnaît sa faute et que l’on cherche à se faire pardonner. En soi rien de malsain bien au contraire !

Le problème commence au niveau de ce que Thalmann appelle la culpabilité « morbide ». Et les profils perfectionnistes sont les plus susceptibles d’y être confrontés. Cette culpabilité est auto-alimentée, sans réelle victime, à part éventuellement celle ou celui qui se l’inflige : ce n’est jamais suffisant. Se sentir coupable de laisser son enfant à la crèche (alors que lui y passe un super moment) ; se sentir coupable de travailler tard (même si on adore son travail) ; se sentir coupable de vouloir prendre soin de soi (alors que l’on sait que si on le fait pas on ne pourra pas continuer à fonctionner en bonne santé), etc… Est-ce que ce sont vraiment des culpabilités « justifiées » ? Est-on sur.e.s de causer du tort ? Et, combien même cela serait le cas, en est-on responsable ?

La culpabilité est un moyen de se rendre responsable des autres, et donc in extenso, de contrôler la situation (à défaut de les contrôler eux).

La culpabilité est souvent une activité très solitaire, on rumine dans sa tête (si j’avais, si je faisais… alors …) ; sauf que si on en parlait à quelqu’un on se rendrait vite compte du peu de réalisme de nos scénarios, et de la limite de notre influence, de notre pouvoir. On s’auto-convainc d’avoir plus de pouvoir sur les situations que la réalité.

Par exemple si prendre du temps pour faire quelque chose qui me plaît incommode quelqu’un (compagnon, parent, ami…) ; est-ce de mon ressort ? Ou de celui qui ressent cela ?

Comment faire pour se débarrasser de la culpabilité inutile ?

La culpabilité est un moyen détourné de refuser ses limites, de ne pas lâcher-prise sur ce dont on n’a pas la main. Y compris le jugement que l’on porte sur nous ! J’ai beaucoup aimé cette phrase : « nous pouvons contribuer au bonheur des autres, mais nous n’en sommes pas responsables ». Rien n’indique que parce qu’on agirait différemment, l’autre personne réagirait mieux. Pas forcément : par exemple quelqu’un qui est d’humeur exécrable continuera probablement de l’être quels que soient mes efforts. Donc adopter un comportement qui vous dessert, pour le seul souci de rendre l’autre « heureux », est très probablement une attitude perdant-perdant.

Par exemple : si j’étais moins préoccupée par ma carrière, je serai plus présente pour mes enfants et donc une meilleure mère. Are you sure ? Qu’est-ce qui permet de croire que parce qu’on est physiquement plus souvent à la maison alors on passera forcément plus de temps de qualité avec ses enfants ? Personnellement, je peux vous dire que j’ai testé un été à temps plein avec mes deux filles de 3 et 5 ans, et ce n’était pas glorieux !!

|| Cela pourrait vous intéresser : C’est décidé, j’arrête d’être une victime ||

La culpabilité nous empêche d’avancer, et nous pompes de l’énergie et de l’estime de soi. Alors comment la déminer ?

  1. Déjà prendre conscience de sa présence. Elle peut parfois être présente depuis si longtemps et de manière insidieuse qu’elle se manifestera plutôt physiquement  (maux de ventre, éruptions…) que par des pensées. Voila, la culpabilité est ce que je ressens en ce moment…
  2. S’interroger sur ce qu’elle nous dit : qu’est-ce que je regrette ou voudrais changer ? Est-ce vraiment de mon ressort ? Apprendre à lâcher-prise et accepter ses limites, ses vulnérabilités est une étape indispensable pour se délester de la culpabilité.
  3. Resituer sa responsabilité : la situation qui a causé mon sentiment de culpabilité m’est-elle imputable à 100% ? C’est-à-dire, la personne impliquée est-elle complètement dépendante de moi dans cette situation ; ou disposait-elle aussi de son libre-arbitre ? Si oui, elle bénéficiait tout autant de son libre-arbitre que moi, la responsabilité est donc partagée, chaque personne est responsable d’elle-même, de ses réactions comme de ses pensées.
  4. Réparer ce qui doit l’être : quand en effet ma responsabilité est bel et bien engagée, je demande pardon ou trouve un moyen de réparer le tort que j’ai causé.

Déculpabiliser de vouloir mieux

Avant de conclure l’article, je tenais à partager un autre constat concernant la culpabilité. Être féministe. Ecrire un article sur le féminisme. Je dois dire qu’il m’a fallu ouvrir une grande brèche dans ma zone de confort pour l’assumer et l’écrire. Je me suis interrogée : pourquoi ? Je pense qu’en affirmant être féministe, je crains encore un peu le regard, le jugement : « hystérique », « déteste les hommes », « frustrée », etc, etc… Je ne suis pas d’accord avec tous les mouvements ou toutes les actions du féminisme. Et c’est normal, il n’y a pas un féminisme, il y a des féminismes. Car il n’y a pas la femme, il y a les femmes !

« We should all be feminists », Chimamanda Ngozi Adichie

Mais d’où vient donc cette honte/culpabilité d’affirmer ses revendications pour que les femmes bénéficient d’autant d’opportunités et de liberté, dans l’action comme dans la pensée (libre-arbitre) que les hommes ?

Une journée comme celle du 8 mars a vocation a susciter les prises de conscience, les mises en actions, concernant les inégalités en termes de droits pour les femmes à travers le monde. Dans de nombreuses régions, les femmes subissent des violences et des sévices (que l’on n’inflige pas aux hommes), pour la simple raison que ce sont des femmes.

Le méritent-elles ? Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que non !

Pour aller dans un sujet moins gore, quoique : est-ce normal qu’un homme qui affirme à la télé son goût pour les filles de 14 ans soit récompensé pour son travail car « c’est normal tout le monde fait ça dans ce milieu » (#cesarsdelahonte) ?

Et allez, parlons du quotidien ; est-ce juste que sous prétexte que la femme reste à la maison après avoir donné naissance et s’occupe de la maison et du bébé, elle continuera à le faire même après avoir repris le boulot ? Et n’en déplaisent aux couples qui se disent modernes les chiffres sont indiscutables, la femme fait systématiquement plus (#chargementale). J’ai fait beaucoup de recherches à ce sujet que j’ai réunies dans mon livre, avec toutes les références n’hésitez pas à me les demander.

Quelques articles intéressants sur le féminisme, la charge mentale et la culpabilité que j’ai sélectionnés pour vous :

Je reprendrais donc l’hypothèse formulée par Y.A Thalmann citée plus haut :  faire culpabiliser, pointer du doigt une femme qui se revendique féministe ; n’est-ce pas une manière de l’influencer pour qu’elle modifie ce comportement perçu comme gênant par certain.e.s ?

Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que non ce ne sont pas des situations justes, et que l’on peut tous mieux faire.

Ainsi les féministes sont-elles coupables d’être féministes ou d’être des femmes qui s’expriment ?

Aussi, j’ai une question pour toutes celles et ceux qui ne se disent pas féministes : c’est quoi alors « ne pas être féministe » ? Ce n’est pas une provocation, je m’interroge sincèrement. Est-ce par peur d’amalgames ? Si oui, lesquels ? Est-ce par ce que vous ne vous êtes peut-être tout simplement pas posé la question, ou encore pour une autre raison ? A l’inverse si vous vous considérez comme féministe (homme ou femme), j’aimerais aussi beaucoup lire ce que cela signifie pour vous. Voilà plein de questions ouvertes qui j’espère stimuleront nos échanges en commentaires ci-dessous !


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10 commentaires sur “Coupable d’être féministe ou coupable d’être femme ?”

  1. Je ne suis pas féministe dans l’âme, je me revendique en tant que personne. Je ne veux pas être mise dans une catégorie. Je ne veux pas être la femme noire qui entreprend. je suis une femme, une personne qui entreprend. Et oui il ne faut pas avoir honte ou culpabiliser de ce qu’on est. On est des personnes qui veulent réussir, s’en sortir pour d’autres peu importe la raison. Il ne faut pas se dévaloriser quelle que soit la raison.

    1. Yasmine merci d’avoir pris le temps de commenter ! Pour ce qui est des cases, je comprends absolument ton point de vue, de ne pas vouloir se « limiter à ». Pour ma part je vois plutôt ça comme une pièce parmi les 1000 (ou plus ? 😅) qui composent mon identité et me rendent unique. Mais je comprends aussi que, vue de l’extérieur, cela peut aussi enfermer dans une certaine idee. Toujours est-il que ce qui compte le plus, au delà des mots, ce sont les actes et engagements du quotidien, etiquette ou pas ! Merci encore pour ton retour enrichissant 🙂

      1. j’aime beaucoup la pièce du puzzle, c’est exactement ça, une partie de nous même qui fait ce qu’on est aujourd’hui comme pour beaucoup de personnes. Je t’en prie pour le retour, ton article est très intéressant comme d’habitude.

  2. Hello ! Pour retrouver toute sa puissance féminine il faut lacher prise avec ce que l’on imagine être une femme, et ce que les autres ou la société imagine être une femme….Car c’est une notion qui évolue et qui évoluera encore….

    Etre juste Soi, ne pas essayer d’être super en quoique ce soit mais juste faire de son mieux, et être libre de dire et de faire ce que l’on souhaite en tant qu’être humain…La femme a un pouvoir extraordinaire, il ne faut pas tenter de le prouver mais juste l’exprimer en Soi et autour de Soi…😻

  3. Je pense être féministe oui , je ne fais pas de grosse action mais a mon petit niveau . Que ça soit dans ma vie en général, pour mon entourage , mes opinions enfin moi en général. J’estime justement qu’en 2020 , les femmes n’ont pas à culpabiliser de leurs choix qu’elles travaillent ou qu’elles soient mères au foyer , qu’elles puissent faire les choix qu’elles veulent sans se culpabiliser . Il y’a encore du boulot mais c’est bien d’écrire dessus 👍🏻

    1. SI chaque personne fait à son petit niveau tu sais les avancées seront énorme; donc moi je dis bravo Coralie ! Effectivement les femmes n’ont en toute logique pas à culpabiliser; mais cela demande un vrai travail sur soi de s’en défaire car même pour celles qui ont eu la chance de grandir dans une famille ouverte d’esprit, le mélange entre les attentes de la famille, les siennes et celles de la société vont souvent influencer notre comportement à notre insu. Cette prise de conscience est essentielle pour avancer « guilt-free », sans culpabilité, juste en tant que personne 🙂 merci beaucoup pour ta contribution !

  4. Ton analyse est très pertinente notamment sur la question de la culpabilité. Pour ma part je n’ai aucun problème a affirmer être féministe car je ne le perçois pas comme une étiquette mais comme une réflexion. Et la définition du féminisme s’ajuste avec la culture,le vécu et la personnalité de chaque personne.

    1. Lauriane merci infiniment pour ton retour ; et surtout pour cette nuance si importante que tu fais entre étiquette (ou case) et réflexion (ou valeurs). L’argument de ne pas se limiter à une case revient très souvent pour ce sujet, bien que je pense qu’il s’agisse plus souvent d’une peur plus ou moins consciente du jugement de l’autre. Tandis qu’en effet je crois que c’est une composante parmi de si nombreuses autres qui vont former l’identité, unique donc. Et comme tu dis justement, c’est ce qui permet au féminisme d’évoluer, et finalement d’être si protéiforme selon les sensibilités de chacun.e !

  5. Bonjour Farah,

    Comme d’habitude, un article super intéressant et très juste, merci beaucoup !

    De mon point de vue, je ne me considère pas « féministe » en soit. Mais en même temps, je suis révoltée par les injustices que subissent les femmes parce qu’elles sont des femmes tout simplement. Au final je suis surtout pour l’égalité entre les genres et surtout pour la liberté de choisir sa vie sans les préjugés qui collent à la société et qui s’intègre ensuite dans notre cerveau via la culpabilité et les pensées limitantes.

    J’ai beaucoup aimé ta réflexion sur la culpabilité et ça m’a d’ailleurs fait beaucoup pensé au podcast que j’écoutais justement ce matin de « Se sentir bien » (épisode 126 si ça te tente 😉 ) qui explique justement aussi très bien cette notion de culpabilité parce qu’on pense priver l’autre de quelquechose alors qu’au final ce n’est que notre avis et ressenti sur la question et loin d’être une certitude.

    1. Ho merci Miléna pour ton retour ! Par curiosité, et compte-tenu de ta sensibilité à l’injustice par exemple, quelle est la nuance que tu fais avec le fait d’être féministe (qui est juste de vouloir l’égalité, en droits mais aussi dans les faits) ? Et je te remercie de partager ce podcast, j’aime beaucoup tes références chaque fois, je te dirai ce que j’en pense 🙂 à très vite !

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